Passion Versus

Les origines du Red Bull Kumite avec un de ses fondateurs, Asenka.

Toutes les réponses sur la sélection des joueurs, le format et la naissance de l'événement.

Rédigé par Vlaïr

Interview

Street Fighter


Monsieur Loyal de la FGC française depuis un certain temps, Guillaume « Asenka » Dorison est une des personnalités derrière le Red Bull Kumite. Il revient pour Passion Versus sur les origines de l’événement, son organisation et le processus de sélection des joueurs.


Asenka (à gauche) en maître de cérémonie au Red Bull Kumite 2017.
Crédits photo : Stephanie Lindgren @Vexanie

Passion Versus : Peux-tu nous raconter comment tout a commencé ?

Asenka : Un beau jour de l’été 2014, je reçois un coup de fil de « El Chikito ». Il kiffe les jeux de combat, est gaming manager chez Red Bull France et veut m’inclure dans un projet ! Il a eu mon contact en cherchant des organisateurs d’événements de jeu de combat : à l’époque, je faisais des tournois comme la World Game Cup à Cannes avec Abou [organisateur de tournois français derrière, entre autres, l’Ultimate Fighting Arena aujourd’hui, NDLR] par exemple.

PVS : C’est lui qui a lancé le projet ?

Asenka : Il avait déjà l’idée du « Red Bull Kumite », oui. Il veut faire un tournoi qui s’inspire du Kumite dans le film Bloodsport, avec Jean-Claude Van Damme, le nom vient de là ! C’est lui derrière le concept de mettre des joueurs de jeux de combat dans un octogone, mais tout reste à faire. De mon côté, je pense tout de suite au Tougeki Super Battle Opera, qui se déroule au Japon : les quatre écrans autour de la cage du RB viennent de là par exemple.

PVS : L’idée d’un invitational est présente depuis le début ?

Asenka : Je lui ai tout de suite dit que ça ne sert à rien de faire un tournoi « open » en France [où tout le monde peut s’inscrire, NDLR]. Il y en a déjà à l’époque, comme le Stunfest ou le Cannes Winter Clash, et Capcom a lancé son Pro Tour, avec plein de tournois qui s’y greffent dans le monde. La plus-value de Red Bull va forcément être sur la production, le show, et quand tu as un open à organiser avec des centaines de joueurs à gérer, c’est compliqué d’être focus là-dessus. Et puis, j’aimais bien l’idée qu’avec Red Bull, on soit les meilleurs dans notre catégorie ! Peu importe le fric, on ne battrait pas l’EVO sur un open en Europe, tout simplement pour une question de masse de joueurs. À l’EVO, 98 % des joueurs sont américains… Tu peux faire l’événement que tu veux ici, même avec 3 millions de cashprize, tu n’auras pas 10 000 joueurs en France. Enfin, en termes de visibilité, si tu regardes les gros tournois, tu vois que les chiffres du stream bondissent à partir du top 16, et surtout du top 8 !

Les premières éditions du Red Bull Kumite, de 2015 à 2018, se sont toutes déroulées à la salle Wagram à Paris.

PVS : Donc vous avez décidé d'adopter complètement l’idée d’un show.

Asenka : C’est ça, cela nous permet de dire « voilà notre top 16 ». Et aussi de créer du contenu en amont avec les joueurs, d’installer un narratif. On peut inviter qui on veut, avoir les meilleurs joueurs du monde, mais aussi des underdogs. C’est une marque du Kumite, des joueurs qu’on estime hyper forts, avec des persos originaux, mais qui ne sont pas invités ou n’ont pas les moyens d’aller aux tournois internationaux. Ça permet aussi d’éviter d’avoir cent fois le même perso ! Je me rappelle de la première Capcom Cup sur Street 5 avec 20 000 Chun-Li, ou l’armée de Luke des deux dernières années… Là, on peut avoir les meilleurs représentants de chaque perso. Ce n’est pas un tournoi qui est là pour remplacer les tournois de la communauté comme le Stunfest ou l’UFA, dès le début, c’est conçu comme un truc à part. Bien sûr, et on a été parmi les premiers à le faire, on a décidé de mettre un Last Chance Qualifier. Comme ça, tout le monde a une chance de rejoindre ce top 16, et on peut mettre à l’honneur la communauté locale. Et d’autres idées très folklos se sont rajoutées très vite…

PVS : Comme par exemple ?

Asenka : La musique ! On voulait mettre des musiques d’animés pour l’entrée des joueurs [rires]. Si tu écoutes les éditions 2015-2016, il y a du Saint Seiya, Dragon Ball, Ken le Survivant… L’autre truc complètement inspiré du shonen manga, c’est le tirage au sort avant le début du tournoi. Ça vient complètement de Dragon Ball, les boules avec les numéros ! Le but, c’est la hype ! Pour un tournoi e-sport comme l’EVO, on ne ferait jamais ça : si on peut se le permettre, c’est parce qu’on a invité les joueurs, avec un niveau global relativement homogène. Ce n’est pas comme à la Capcom Cup cette année où le niveau est un peu plus hétérogène avec leur méthode de sélection. Le seul souci, c’est qu’il n’y a pas de séparation par région, donc on peut se retrouver avec des cas comme Big Bird contre Angry Bird au premier tour l’année dernière… Mais ils n’avaient que 6 % de chance, ils ont pas eu de bol [rires]. Ce tirage fait vraiment partie de la magie du Kumite, c’est une marque de fabrique. Il y en a d’autres qu’on a créées très vite avec El Chikito. La loser cérémonie par exemple : passer un moment avec le perdant avec une musique triste. La première année, il y avait des musiques comme celle de Saint Seiya quand Hyoga va voir sa mère dans l’eau [rires]. Ce n’est pas du tout pour se moquer de lui : souvent les perdants, on ne les voit plus après leur défaite, là il y a un moment pour le féliciter, le faire applaudir par le public. Il y a aussi Ken Bogard qui commente debout seul dans la cage, ça c’est très français – enfin, inspiré des Japonais, et pour se différencier des Américains qui sont en casters' desk. Le problème c’est que pas grand monde est capable de commenter pendant huit heures sur scène, alors on a dû laisser tomber à l’étranger [rires].

Red Bull a notamment choisi des membres reconnus de la communauté, comme le français Abou (organisateur de l'UFA), pour s'occuper de l'organisation.

PVS : Et Red Bull vous a laissé organiser comme vous le souhaitiez ?

Askenka : Ils avaient conscience dès le début qu’il fallait que ce soit community driven. Par exemple pour le LCQ, on a pris Abou et sa team, et ils sont toujours dans la boucle. Il devait être organisé par la communauté, pour la communauté. Ça fait bosser « les mecs qui savent ». Le but est de bien mettre les joueurs, la commu, de faire kiffer tout le monde. Red Bull paye tout, c’est bien sûr de la communication et du marketing pour eux, ils s’y retrouvent, mais sur l’événement lui-même, ils ne gagnent pas d’argent.

PVS : Comment vous-êtes vous retrouvés dans le 16ème arrondissement, à Paris ?

Askenka : La salle Wagram, c’est Chikito qui l’a trouvée, et c’était une super idée. Ça correspondait bien à l’ambiance « combat de boxe » qu’on voulait. T’es dans une salle, pas à Bercy, et les gens qui regardent en ligne n’ont pas forcément conscience que t’es à côté de l’Arc de Triomphe [rires].

PVS : L’événement a, malheureusement pour les Français, changé de lieu...

Asenka : Ce qui se passe quand un événement Red Bull est un gros succès dans un pays – et le Kumite en est un à Paris –, c'est qu'il devient un « global event ». Son destin est alors de voyager de pays en pays, pour que d’autres communautés puissent en profiter.

Chacun des joueurs invités a le droit à son artwork et à a présentation, ici le joueur français Mister Crimson (qui remplace finalement Valmaster).

PVS : Parlons un peu du choix des joueurs...

Asenka : C’est moi le sélectionneur, si certains choix ne sont pas bons, vous pouvez m’engueuler [rires] ! Bien sûr, je prends des conseils autour de moi, et Red Bull valide. Grosso modo, on veut avoir les meilleurs joueurs du monde. Mais parfois, ce n’est pas forcément « ceux qui ont gagné » : par exemple, l’année dernière, on avait pris Zhen [deuxième de la Capcom Cup IX et gagnant du LCQ], parce que pour moi c’était le MVP de la Capcom Cup ! Une fois que t’as passé les meilleurs, je vais chercher les characters specialists. Par exemple cette année, il y a le japonais HibikiTheBeast, qui joue Lily, et l’anglais Broski qui joue Aki. Je me suis dit « c’est qui le meilleur joueur d'Aki », et je l’ai choisi. Parfois des joueurs me disent « pourquoi je suis pas invité », ce n’est pas qu’ils sont pas forts, c’est simplement qu’il y a déjà d’autres joueurs du même personnage, plus forts. Après on regarde aussi un peu les régions, en fonction du lieu où se déroule l’événement. Le Kumite au Japon il y avait plus d’Asiatiques, à New York il y a plus d’Américains... Cette année, comme ce n’est pas en Europe, je n’avais un slot que pour un seul français. Valmaster a fait une super saison et je n’avais pas de Chun Li à ce moment là [interview réalisée avant la performance de Leshar à la Capcom Cup et le changement de dernière minute de Valmaster pour Mister NDLR] : c’est dommage pour Mister Crimson, qui a fait le Kumite pendant des années, mais on le verra dans la cage grâce aux play-ins ! J’aime bien aussi l’idée d’avoir des joueurs ultra-forts qui ne sont pas à la Capcom Cup, pour ne pas juste la reproduire. Je regarde les événements à côté : par exemple cette année, on a pris Bonchan, qui vient quand même de gagner la Street Fighter League Japan. On me l’a recommandé en me disant qu’il est vraiment très fort, même s’il n’est pas à la Capcom Cup ! Enfin, chaque année on va chercher un ou deux underdogs, qui met la hype, qui peut perdre dès le premier tour mais aussi tout gagner. Et c’est encore mieux s’il joue un perso improbable, comme HibikiTheBeast avec sa Lily : c’est lui qui a généré le plus de réactions quand on l’a annoncé, plus que les Américains ou MenaRD !

PVS : Ça a l’air d’être un vrai casse-tête !

Asenka : Cela se joue à pas grand-chose à chaque fois. Énormément de joueurs méritent, mais il y a plein de paramètres : la région, le perso, s’il a déjà fait plein de fois le Kumite, est-ce qu’il est à la Capcom Cup cette année… Je veux aussi des joueurs qu’on a pas vus toutes les cinq minutes dans tous les tournois. Il y en aura forcément, parce que ce sont les meilleurs, mais par exemple j’ai pris Punk. Parce qu’il est super fort et qu’il le mérite, mais aussi parce qu’il n’est pas à la Capcom Cup – sauf s’il gagne le LCQ – et qu’il ne joue pas Luke ou Ken [rires]. J’aurais aimé avoir un joueur de Ed mais il est sorti trop tard…

PVS : Peux-tu nous parler des nouveautés de cette année, en particulier les play-ins ?

Asenka : Cela faisait des années qu’on organisait des qualifiers dans le monde entier, mais les gagnants étaient invités pour le LCQ. Ils avaient l’expérience complète des joueurs invités – même hôtel, salle d’entraînement etc. Le truc c’est que le LCQ, il est aussi fait pour les joueurs locaux. C’est ouvert à tous bien sûr, il y a déjà des joueurs qui ne sont pas des États-Unis inscrits cette année, mais ils seront forcément plus nombreux. C’est un peu dommage pour la commu, et en même temps c’est dommage pour le joueur étranger qui doit se retaper un tournoi à 256 après avoir gagné dans son pays. Donc Red Bull international a eu l’idée de faire ces play-ins, avec uniquement les joueurs qualifiés. Il n’y a que 8 joueurs, tout sera streamé, en FT3. C’est aussi une nouveauté pour les viewers ! Au lieu d’avoir les pools du LCQ, ils auront un tournoi avec des joueurs craqués directement, et enchaîneront sur le top 16 du LCQ. C’est un moyen d’avoir des matchs de haut niveau tout le long.


Huit joueurs issus de qualifications dans plusieurs pays du monde s'affronteront samedi 16 mars pour une place dans le top 16 final.

PVS : Et le format reste le même qu’en Afrique du Sud, en FT5 simple élimination ?

Asenka : Oui, on a vu les limites des pools + double élimination à Vegas, pour un événement comme le RBK avec un public, c’est trop long. On est un show, il faut avoir conscience de ça. Surtout que le Kumite, l’année dernière, c'était le deuxième événement de jeu de combat le plus regardé dans le monde, avec un pic à 200 000 viewers sans compter la Chine. Et tous les spectateurs ne sont pas des fans de jeux de combat. Le grand public ne comprend pas forcément le double elim, il revoit les mêmes matchs… Au tennis, au foot, les tournois d’arts martiaux, tu perds, tu ne reviens pas des enfers ! Les deux arbres, c’est évidemment le meilleur format pour un tournoi en open, pour les joueurs. Mais pour un show, ce n’est pas le plus hype, ce qui apporte le plus de tension. Par exemple l’an dernier, Jahbim bat Tokido, c’était une hype incroyable ! En double elim ça aurait été hype aussi, mais il serait peut-être revenu lui botter les fesses en loser. Le simple elim facilite les surprises, c’est ce qu’il faut si tu veux voir le tournoi ou Rocky gagne [rires]. En plus, tous les tournois dans le monde se sont mis à faire du double elim, voire même des pools. Alors on s’est demandé ce qu’on pourrait faire qu’aucun autre ne peut se permettre !

PVS : Vous assumez complètement d'être un show, un spectacle pour mettre la hype.

Asenka : Paradoxalement, c’est un tournoi extrêmement hardcore ! Les joueurs ne savent pas qui ils affrontent avant le tirage au sort, et en plus, c’est simple elim, c’est cruel ! On est là pour élire le meilleur joueur qui résiste à la pression du simple elim, le but c’est pas forcément d’élire le meilleur joueur tout court. Il faudrait faire du round robin en FT10 avec tous les joueurs [rires]. Par contre, c’est FT5 complet [le premier a remporté 5 sets gagne le match, NDLR], et pour en avoir parlé avec des joueurs, ils préfèrent un seul FT5 que miser leur vie sur deux FT2. Si tu perds un FT5, ce n’est pas au pif. L’idée c’est d’avoir un vrai focus sur le match, qui a de l’enjeu, et même le joueur qui perd directement a passé un certain temps dans la cage grâce à la longueur du set. Je pense que c’est le format qui correspond le mieux au Kumite. Et les joueurs sont prévenus, ils savent très bien comment ça va se passer.

PVS : Comment réagissent-ils quand ils sont invités ?

Asenka : Ils disent oui immédiatement. Ils ne demandent même pas le format, le cashprize… C’est d’ailleurs quelque chose sur lequel on communique très peu, le cashprize. Il y en a bien sûr, on récompense tous les joueurs en plus du voyage tout frais payés et des cadeaux des partenaires. Surtout depuis qu’on est passé en simple elim, même ceux qui sont éliminés au premier tour repartent avec 2 000 dollars. Ce n’est pas un secret, c’est dans les règles sur le site. On considère que le joueur est un acteur du show, et comme il accepte les règles, la simple elim, il gagne quelque chose. Ils savent aussi que le RBK apporte autre chose, y participer et surtout le gagner donne une aura, c’est bon pour les sponsors !

PVS : Un petit mot de la fin ?

Asenka : Les jeux de combat ne sont pas l’esport le plus joué dans le monde, mais pour moi c’est comme la boxe ou le MMA : quand il y a un grand match, tout le monde y assiste. Je pense que de toute façon, on ne sera jamais le genre le plus joué, mais on peut faire en sorte que de plus en plus de monde regarde. Un peu comme le tennis, il y a beaucoup de spectateurs, mais finalement relativement peu de gens pratiquent vraiment – par rapport au foot par exemple. Le skillgap pour s’y mettre sérieusement est assez élevé, mais tout le monde peut regarder, et c’est une force ! Je recommande d’ailleurs fortement aux gens de regarder la cérémonie d’ouverture et le tirage au sort dimanche, ça sera plus cruel et imprévisible que jamais !

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